Une
lumière éclatante lui vrilla les yeux dès qu’il les ouvrit. Dehors, les
cailloux de l’allée crissaient sous les pneus chargés d’une grosse voiture.
C’était sans doute ce bruit qui l’avait réveillé, alors qu’il dormait profondément
pour la première fois depuis des semaines. Enfant, il souffrait de fortes
crises de somnambulisme mais, à présent, c’était une insomnie chronique qui
hantait ses nuits. Il se leva avec précaution, tout en frottant ses paupières
fatiguées. Le silence régnait à nouveau à l’extérieur du ranch familial. Alors
qu’il se dirigeait machinalement vers la salle de bain attenante à sa chambre,
il se rendit compte qu’il portait encore son jean. Le reste de ses vêtements
jonchait pourtant le vieux parquet un peu plus
loin, juste à côté de la panière à linge. Il ferma les yeux un bref
instant, pendant qu’il se remémorait le moment de son coucher. Les souvenirs
manquaient de précision mais il se rappelait clairement la dispute qu’il avait
eue avec son père. Ensuite, il avait regagné sa chambre et s’était aussitôt mis
au lit avec l’espoir de profiter de quelques heures de sommeil. Il tira sur le
cordon de l’unique ampoule de la salle de bain
pour pouvoir contempler son portrait dans le miroir. Comme il s’y attendait,
des cernes prononcés soulignaient ses yeux bleus rougis par des vaisseaux
éclatés. Ses cheveux châtains étaient encore tout emmêlés. Il devrait sans
doute commencer par traiter ce problème mais choisit plutôt de s’asperger le
visage d’eau froide. Le choc thermique fit aussitôt effet, le sortant
définitivement des limbes du sommeil.
—
Clarence !
La
voix criarde de son père retentit depuis le rez-de-chaussée. Il semblait
impatient. Enfin, plus que d’habitude.
Avec un soupir, il enfila rapidement le premier tee-shirt propre qu’il
trouva et descendit à sa rencontre.
Son
paternel se trouvait avec le shérif.
—
Clarence, déclara à
son tour l’officier tout en le regardant d’un air grave.
Le
jeune homme s’avança vers lui et lui serra la main, ignorant le patriarche
familial qui venait de s’asseoir dans un fauteuil de la salle à manger.
—
Shérif, qu’est-ce qui nous
vaut votre visite ?
Une
visite impromptue des forces de l’ordre n’était jamais bon signe. Encore moins
lorsque les relations avec ces dernières étaient du genre tendu. Clarence
sentit son cœur se serrer à l’idée que l’homme en uniforme venait fatalement
lui annoncer de mauvaises nouvelles.
—
Est-ce que vous connaissez une certaine
Alison Pike ? demanda ce dernier, même si son ton assurait qu’il
s’agissait là d’une question rhétorique.
—
Oui… Il hésita un instant avant de
poursuivre. Nous nous voyons depuis quelques temps.
Une
réponse insipide, sans trop de précisions. En fait Alison et lui se
fréquentaient depuis presque six mois et il était bien certain que le Shérif
Bennett le savait déjà. Seulement, il n’avait jamais été du genre à s’étendre
plus que de raison. Une habitude ancrée en lui depuis son plus jeune âge par un
père sévère et avare d’affection.
Le
shérif hocha la tête, son expression encore plus rigide qu’auparavant.
—
J’ai le regret de vous annoncer
qu’Alison Pike a été retrouvée morte ce matin.
Sur
le coup, il ne ressentit rien. Le néant. Comme si un vide intersidéral avait
immergé tout son être en un instant, le temps d’une simple phrase. Aucun sentiment
de colère, de désespoir. Aucune tristesse. Alison et lui n’étaient qu’au début
de leur relation, après tout. Mais pourtant, au fond de lui même, il savait. Il
savait qu’il l’aimait et que le sort venait de s’acharner sur lui, car il était
condamné à ne connaître que le malheur.
—
Depuis quand
ta famille a ce ranch ?
Alison se détourna de la fenêtre, pour le regarder. Il se
trouvait encore dans le lit défait,
depuis lequel il contemplait sa silhouette pâle et fine, auréolée par la
lumière entrante.
—
Oh, depuis
des générations… Avant de mourir, ma mère m’a dit qu’il a été construit dès la
fin de la guerre de Sécession mais j’en doute.
—
Ça se
pourrait pourtant, l’architecture correspond…
Il ne répondit pas, se contentant de sourire. Elle s’avança
vers lui et s’assit sur le bord du lit. Son corps nu réveilla à nouveau le
désir en lui.
—
Ouais et
maintenant il tombe en ruine et nous coûte une fortune…
Le regard de la jeune femme s’assombrit.
—
Mais vous
vous en sortez quand même ?
—
Pour
l’instant mais il faut être lucide, je ne sais pas combien de temps ça durera.
On ne fait que perdre de l’argent et même en trouvant les fonds nécessaires
pour tout retaper, je ne pense pas que ce sera suffisant.
—
C’est à ce
point là ?
Clarence baissa les yeux. Pour une raison qu’il ignorait, il
avait envie de se confier à elle plus qu’à quiconque. Ces soucis qui le
hantaient depuis des mois pouvaient enfin être délestés.
—
Ouais. Et je
crois que ce n’est pas plus mal… J’ai envie de repartir à zéro.
—
Vraiment ?
—
Vraiment.
—
Et tu voudrais
faire ça seul ?
Ils se sourirent d’un air entendu.
—
Pas
forcément…
—
Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demanda-t-il d’une voix atone.
—
Elle a été renversée par une voiture.
Sur la route 164. Le conducteur a pris la fuite.
Clarence
accusa le coup. C’était une route très empruntée car elle menait au centre
ville.
—
Quand ?
—
Probablement cette nuit. L’autopsie le
confirmera.
Les
mots de l’agent le blessèrent plus qu’il ne s’y était attendu. L’image du corps
parfait d’Alison allongé sur une table métallique, recouvert des cicatrices
immondes de l’opération post-mortem
s’imposa à son esprit sans qu’il puisse l’en empêcher.
Que
faisait-elle sur cette route au beau milieu de la nuit ?
—
Vous l’avez vue hier soir ?
Les
paroles de Bennett le ramenèrent à la réalité.
—
Quoi ? Euh non… enfin on s’est vu
dans l’après-midi mais elle travaillait hier soir.
Alison
était serveuse dans le seul restaurant potable du coin. La paye était tout sauf
mirobolante, les horaires difficiles mais elle s’y plaisait et puis, le patron
la considérait comme sa propre fille.
Le
Shérif opina et sortit un calepin de sa poche pour y noter l’information.
Clarence le regarda faire, encore trop déboussolé pour réfléchir correctement.
—
Qu’est ce qu’il se passe ?
La
voix enrouée de son frère cadet retentit dans son dos. Il se tourna pour le
trouver affaissé contre le mur, un verre de Whisky à la main. Ces derniers temps,
il buvait dès le matin.
—
Bonjour Seth, le salua le shérif d’une
voix glaciale.
Le
jeune homme ne prit même pas la peine de répondre ce qui ne sembla pas étonner l’agent.
Leurs relations avaient atteint un point de non retour lorsque Bennett l’avait
arrêté pour ivresse deux mois auparavant et l’avait collé en cellule pour la
nuit. L’amende avait été salée aussi. Trop pour Seth qui avait déjà des
problèmes d’argent. Son cadet passa une main dans ses cheveux noirs,
partiellement recouverts de poussière. Sa chemise était entrouverte.
—
Où est-ce que tu étais ?
—
Au bateau. Je faisais des réparations.
Il faut qu’il soit prêt pour la saison.
Une
fois encore, Seth jouait les optimistes. Ils avaient acheté le bateau l’année
dernière afin de distraire la clientèle
du ranch pendant l’été. Ça avait plutôt bien fonctionné et leur avait même
redonné espoir pendant un temps, avant que Seth ne claque une partie des
bénéfices au jeu.
Ce
dernier but une nouvelle gorgée de son verre, à présent pratiquement vide.
Clarence avait envie de le lui arracher et de le projeter contre le mur.
Peut-être que si son frère n’avait pas perdu leurs bénéfices, ils n’en seraient
pas là. Peut-être qu’il n’aurait pas décidé de laisser tomber l’entreprise
familiale pour monter sa propre affaire avec Alison ? Peut-être qu’elle
n’aurait pas fait d’heures supplémentaires pour économiser. Peut-être qu’elle
aurait passé la soirée avec lui au lieu de prendre cette route et de se faire
tuer…
—
Alison Pike est morte.
Les
mots terribles du shérif retentirent comme une sentence qu’ils méritaient tous
les deux, car c’était aussi son absence qui avait sans doute causé cet
accident.
Seth
baissa le bras qui tenait le verre et déglutit avec difficulté. À ce moment-là,
Clarence se souvint que son frère et Alison avaient également eu une liaison
avant qu’elle ne fasse sa connaissance. Son frère hocha lentement la tête,
avant de se diriger vers la cuisine. Il allait sans doute se servir un nouveau
Whisky.
—
Qu’est-ce que
tu dirais de gérer un restaurant ?
Alison claqua la porte de sa voiture et s’avança d’un air
déterminé vers Clarence.
—
Quoi ?
—
Tu m’as bien
entendue. Qu’est-ce que tu dirais de gérer un restaurant ?
Clarence fit une moue indécise mais l’enlaça dés qu’elle
l’eut rejoint.
—
D’où vient
cette idée ?
Ils s’embrassèrent tendrement. Alison souriait quand ils
rompirent leur baiser.
—
Tu m’as dit
que tu voulais laisser le ranch. Recommencer à zéro.
—
C’est vrai…
Mais j’y connais rien dans ce domaine et puis surtout, on n’a pas de
restaurant. C’est quand un peu gênant, non ?
—
C’est là que
tu te trompes !
Son sourire s’agrandit un peu plus. Ses yeux pétillaient de
malice. Clarence se sentit aussitôt intrigué.
—
Ok… c’est
quoi le deal ?
—
Mon patron
veut prendre sa retraite. Il est prêt à vendre le restaurant et à me faire un
prix. Il accepte même un délai pour payer l’intégralité ! Avec mes
économies et ta participation, je me suis dit qu’on pourrait y arriver sans
problème ! Allez, tu gères le ranch depuis que tu as quitté le lycée, je
suis sûre que ce ne sera pas tellement différent.
—
Mais et la
cuisine ? Qui va s’en occuper ?
—
Max restera
le chef. Moi je m’occuperai de la caisse et des commandes, et toi de la partie
gestion et comptabilité. Alors ?
L’offre semblait tentante. Trop, même. Déjà Clarence
s’imaginait travailler aux côtés de cette femme. Mais il savait aussi qu’il ne
fallait pas se décider sur un coup de tête. Surtout quand d’autres personnes
entraient en jeu.
—
Je ne sais
pas si mon père acceptera de vendre le ranch. Et si je lui laisse la direction
avec Seth…
Les résultats seraient catastrophiques. Alison le comprit
aussi. Son sourire s’affaissa et une profonde amertume assombrit son beau
visage. Clarence passa ses mains dans ses cheveux blonds.
—
Je vais leur
en parler. Promis.
—
Vous confirmez donc que vous n’avez pas
vu Alison Pike hier soir, demanda Bennett.
—
Je vous le répète, on s’est vus hier
après-midi et après elle est partie au restaurant pour son service.
—
Et vous avez une idée de ce qu’elle
faisait sur cette route ? Vous aviez prévu de vous retrouver ici
ensuite ?
—
Non.
—
Pourtant la 164 mène directement au
ranch.
Les
questions du shérif commencèrent à l’irriter.
—
Oui et à bien d’autres endroits. Je ne
sais pas si elle venait ici ou non. En tout cas ce n’était pas prévu.
—
Bien. Nous en saurons plus avec les
résultats de l’autopsie de toute façon. Et au cas où ça vous intéresserait, je
compte bien mener cette enquête jusqu’au bout.
Clarence
refusa de répondre. Il serra les poings tandis que l’agent regagnait son
véhicule. La rage jusque là confinée au fond de son cœur commençait à poindre.
Tout comme la réalisation qu’Alison était morte.
Il ne la reverrait plus.
—
Je suis désolé fils. C’est un terrible
accident.
Il
ne tourna même pas la tête vers son père. Il avait besoin d’être seul.
—
Papa, je
crois qu’il faut qu’on parle.
Terrence Agos était assis dans le vieux fauteuil en cuir que
lui pouvait honorer.
—
Tiens donc.
Et de quoi ?
—
Du ranch.
Comme tu le sais les affaires ne sont plus ce qu’elles étaient. La toiture de
la grange est complètement HS et je ne parle pas des autres travaux qu’on doit
faire.
—
Il y a
toujours des travaux à faire. C’est normal. Ça fait partie du travail.
—
Oui mais tu
sais aussi qu’on en a plus les moyens.
Son père leva une main pour le forcer à se taire mais ça ne
fit que l’irriter davantage.
—
Ça fait des mois
que je t’en parle. On court à notre perte si on continue à se mettre des œillères.
Tu réalises que si on ne fait rien on va déposer le bilan.
—
Une
entreprise familiale connaît des hauts et des bas. Il faut juste savoir
remonter la pente. Certains travaux peuvent peut-être attendre, le temps qu’on
renfloue les caisses…
Clarence secoua la tête, maintenant ulcéré par l’entêtement
dont faisait preuve son père.
—
Non,
papa ! Tu sais bien que ça ne peut pas attendre. Et quand bien même !
On redressera la barre mais à jusqu’à quel niveau ? Juste assez pour payer
les traites avant qu’une nouvelle cata nous tombe dessus ?
—
Alors tu
proposes quoi ?
—
On vend le
ranch tant qu’il vaut quelque chose. On récupère l’argent pour t’installer
quelque part et on repart à zéro.
—
Et pour faire
quoi ? Tu veux m’envoyer dans une maison de retraite, c’est ça ?
Te débarrasser de moi pour aller roucouler avec cette fille ?
Clarence se frotta l’arête du nez. Leur dispute était devenue
inextricable. Jamais Terrence Agos n’accepterait la vente. Du moins, pas ce
soir. Il fallait mettre un terme à cette discussion au plus vite.
—
Non papa, il
n’est pas question de maison de retraite. Avec l’argent on pourrait te trouver
une maison.
—
C’est
ça ! Et ton frère ? Tu t’es demandé ce qui serait mieux pour
lui ?
—
Seth est un
grand garçon. Je lui ai déjà dit ce que je comptais faire et il devra faire
avec. C’est aussi de sa faute si on en est là !
—
Foutaises !
Tu te trouves des excuses pour aller fricoter avec cette petite poule !
—
Je t’interdis
de parler d’Alison comme ça !
—
Tu laisses
tomber ta propre famille pour cette fille ! Je vous ai entendus, tu sais.
Parler de cette histoire de restaurant… C’est ça que tu veux ?
Leur regards se fixèrent avec une intensité jusque là
inégalée.
—
Oui. C’est ce
que je veux.
Il laissa son père et regagna sa chambre au plus vite. Jetant
ses vêtements au pied du lit, il n’entendit pas le bip du téléphone portable
qui se trouvait dans la poche arrière de son jean.
Clarence
passa devant la cuisine. À l’intérieur, Seth était assis devant une bouteille
d’alcool plus vide que pleine. Ils échangèrent un rapide regard, avant que
Clarence ne regagne sa chambre. Il s’adossa contre la porte dès son entrée et
inspira profondément.
Alison est morte.
Il
se mordit les lèvres, refoulant l’humidité qui pointait enfin à la surface de
ses yeux.
Alison est morte.
Les
mots semblaient encore abstraits. Son esprit ne pouvait pas encore les
intégrer.
Alison est morte.
À
travers ses larmes, il distingua la forme floutée de son téléphone portable.
Une petite lumière bleue clignotante indiquait qu’il avait reçu un texto. La
gorge nouée, il attrapa le GSM et déverrouilla l’appareil.
*Nouveau
message : Alison Pike à 23 :15*
Un
sanglot monta dans sa gorge qui se contracta douloureusement. Ses doigts
tremblaient tandis qu’il appuyait sur la petite enveloppe.
*
Il faut que je te voie. Ton frère est passé au restaurant pour me parler de la
vente du ranch et de notre projet. Il me raccompagne au ranch. Nous devons en
parler. Je crois que l’idée de ce changement ne lui plaît pas. *
Il
sentit la bile remonter le long de son œsophage. Sa main engourdie laissa
tomber le téléphone qui s’écrasa au sol dans un bruit métallique. Ses jambes ne
semblaient plus pouvoir le soutenir puis, l’instant d’après, une force presque
surhumaine s’empara de lui. Il dévala les escaliers quatre à quatre et se
précipita dans la cuisine.
—
Seth ! Comment vas-tu ? Il est un peu tard pour
dîner, le cuisinier est en train de remballer, mais tu veux quelque chose à
boire ?
Seth Agos vint s’asseoir au comptoir du bar où officiait
Alison. La salle du restaurant était désormais pratiquement vide. Seuls
quelques clients occupaient encore une table un peu plus loin.
—
Non ça ira.
Je venais juste te parler.
Il s’assit sur l’un des tabourets, face à elle. Alison reposa
le verre qu’elle essuyait et lui accorda toute son attention.
—
Que se
passe-t-il ?
—
Clarence
parle de vendre le ranch. Il dit que vous avez l’intention de racheter le
restaurant. C’est vrai ?
Mal à l’aise, elle approuva d’un simple hochement de tête.
—
Oui mais je
crois que nous devrions en parler tous les trois.
—
Ce n’est pas
une bonne idée ! Le ranch… le ranch c’est une histoire de famille. C’est…
ça fait des générations qu’il est là et ça ne peut pas finir ainsi. Pas
maintenant !
—
Écoute, je
crois vraiment qu’on devrait en parler avec Clarence. Tu ne crois pas ? Je
finis d’ici un quart d’heure, on pourrait aller au ranch. Tu as ta
voiture ?
Il opina. Alison sortit son portable.
—
Je le
préviens, ok ?
—
Espèce de salopard !
Il
empoigna Seth par le col de sa chemise et le fit tomber se chaise.
—
Qu’est-ce qu’il te prend !
Arrête !
—
Salopard, tu as vu Alison hier !
La
bouteille de Whisky tomba de la table et éclata juste à côté des deux hommes.
Seth tenta de se relever mais Clarence le maintenait fermement au sol. Ses
doigts pressèrent la mâchoire de son frère qui grogne sous l’effet de la
douleur.
—
Tu l’as vue et tu n’as rien dit !
Pourquoi ?
—
Qu’est-ce qu’il se passe ici ?
La
voix de leur père retentit depuis l’embrasure de la porte, mais ils ne
l’entendirent pas. Seth fixa son agresseur. Ses mouvements étaient entravés par
l’étreinte de son frère et les effets de l’alcool.
—
Oui, oui je l’ai vue.
Clarence
le souleva du sol avant de le projeter contre le mur. Le souffle coupé par
l’impact, Seth recracha un filet de whisky.
—
Qu’est ce qu’il s’est passé ?
—
Rien du tout ! Je voulais la
convaincre de ne pas vendre le restaurant. Elle a dit que ce n’était pas sa
décision mais la tienne. C’est tout !
—
Menteur ! Pourquoi tu ne dis pas la
vérité !
Aveuglé
par la colère, Clarence se mit à serrer le cou de son frère.
—
C’est toi ? Est-ce que c’est toi qui
l’a tuée ?
Une
poigne ferme le tira soudain en arrière le forçant à lâcher sa prise.
—
Laisse-le enfin ! cria son père.
S’il te dit qu’il n’y est pour rien, tu dois le croire !
Clarence
recula.
—
Elle m’a envoyé un texto. Elle disait
que tu l’amenais ici…
Les
deux autres hommes le regardaient avec inquiétude. Lui était trop enragé pour
réfléchir avec un tant soit peu de cohérence. Toutes ces informations se
bousculaient dans sa tête dans un miasme impossible à démêler. La voiture… il
courut vers le garage. La voiture de son frère y était garée, recouverte par
une large couverture. Pourquoi une telle protection. Il tira sur le drap d’un
coup sec. L’aile avant était cabossée et partiellement couverte de sang.
—
Non…
L’autoradio diffusait de la musique country à plein volume.
Alison indiqua le poste.
—
Ça te dérange
si on éteint ?
—
Non.
Il coupa aussitôt le son.
—
Désolé.
—
C’est pas
grave. Écoute, à propos de cette histoire, ne crois pas que Clarence vous
laisse tomber ton père et toi mais il pense… nous pensons tous les deux que
c’est la meilleure chose à faire.
—
Alors c’est
du sérieux ?
—
Pardon ?
—
Lui et
toi ? C’est du sérieux ? J’imagine que oui vu que vous avez prévu de
vous lancer dans cette aventure ensemble.
—
Oui c’est
sérieux.
—
Mais ça fait
quoi ? Six mois que vous êtes ensemble ? Et déjà vous vous lancez
dans ce projet complètement insensé !
—
Seth, ma
relation avec ton frère ne te concerne absolument pas, pas plus que notre
projet. Alors je propose que nous arrêtions tout de suite de parler de ça et
d’attendre d’être au ranch pour en discuter avec Clarence, ok ?
—
Tu ne m’as
jamais aimé, n’est-ce pas ?
—
Quoi ?
—
Est-ce que tu
m’as aimé ? Non, hein ? Jamais comme Clarence. Jamais tu ne m’aurais
proposé de monter une affaire avec toi !
—
Est-ce que tu
as bu ?
—
Ça
t’arrangerait bien. Mettre ça sur le compte de l’alcool pour éviter cette
conversation… Ne pas avouer que tu t’es bien servie de moi le temps de trouver
un meilleur mec. Un mec qui serait prêt à trahir sa famille pour t’apporter
suffisamment de fric pour ouvrir ta boite.
—
Ça suffit, tu
dépasses les bornes ! Laisse-moi descendre !
—
Tu sais que
j’ai raison !
—
Je veux
descendre maintenant.
Il stoppa le véhicule.
—
On est à plus
d’un kilomètre du ranch, tu comptes y aller à pied ?
—
Je préfère ça
que de rester dans cette voiture !
Sans attendre sa réponse elle ouvrit la portière et se mit à
marcher le plus rapidement possible. Quelques instants plus tard, elle entendit
l’automobile se rapprocher.
Ce
sang. C’était forcément celui d’Alison !
—
Clarence attend !
Il
se tourna. Son frère et son père se tenaient face à lui.
—
C’est toi qui l’as tuée. Il y a son sang
sur la voiture !
À
nouveau il se rua vers Seth qu’il plaqua contre le mur du garage.
—
Pourquoi ? À cause du ranch ?
Parce que tu étais jaloux ?
—
Je ne l’ai pas tuée !
—
Et le sang ! hurla Clarence. C’est
son sang qu’il y a sur ta voiture !
—
Non !
Terrence
s’interposa entre eux et parvint à les séparer. Déséquilibré par
l’intervention, Clarence heurta le véhicule.
—
Ce n’est pas sa voiture, déclara le
patriarche.
—
Quoi ?
—
Ce n’est pas la voiture de ton frère.
Clarence
tourna lentement la tête. Il s’agissait d’une Ford gris acier. Son père avait
raison. Le pick-up n’appartenait pas à Seth, mais à lui.
—
Comment ?
La voiture de Seth dépassa rapidement Alison et prit la
direction du ranch. La jeune femme soupira et attrapa son téléphone. Avec un
peu de chance, Clarence aurait rapidement son texto et pourrait venir la
récupérer. Elle aimait marcher, mais ce soir elle avait mis des talons qui lui
vrillaient déjà la voûte plantaire.
Au moment où elle commençait à rédiger son message, elle
entendit un moteur. En relevant la tête elle n’eut que le temps d’apercevoir
une voiture tous feux éteints foncer droit sur elle. Un cri d’effroi resta
coincé dans sa gorge au moment de l’impact.
—
C’est impossible…
—
Tu as fait une crise de somnambulisme,
comme quand tu étais enfant... expliqua son père.
—
Non, non, ce n’est pas vrai…
—
Tu as pris ta voiture, et tu es parti
vers la ville… Je t’ai croisé en sens inverse. J’ai reconnu ta voiture. Tu
roulais sans feux. On a failli se percuter. J’ai tout de suite compris le
danger mais le temps de faire demi-tour, il était déjà trop tard, poursuivit
Seth.
—
Non…
—
Je suis désolé fils.
Il
l’avait tuée.
—
Ils ne sauront jamais rien. Tu étais ici
avec papa. Il n’aura même pas à mentir si on lui pose la question. Tu es rentré
ici et es parti te coucher avant sa mort. Et ce n’est pas ma voiture qui l’a
heurtée.
—
Je l’ai tuée…
—
Ça va aller fils. Ce secret reste ici,
entre nous.
Terrence
l’attrapa et vint le serrer contre lui.
—
On est une famille. On se serre les
coudes et on reste ensemble. Toujours.