samedi 28 septembre 2013

Chapitre 1 : Premier extrait

À bientôt midi trente, Walker Street était bondée. Une foule compacte de travailleurs en pause déjeuner gênaient son avancée tandis qu’elle tentait de gagner du terrain. Un peu plus loin devant elle, un homme de bonne taille allait traverser la rue. Il ne fallait en aucun cas qu’elle le perde de vue. Par chance, il avait choisi de faire le trajet à pied. Un choix qui  lui évitait une filature en voiture et tous les risques inhérents à ce type de locomotion : les embouteillages, les feux, les véhicules qui pourraient s’intercaler. Lucrétia pouvait donc s’estimer chanceuse, seulement les autres piétons ne lui facilitaient pas non plus la tâche. Elle réussit enfin à traverser. L’homme avait pris de l’avance, mais se trouvait toujours dans son champ de vision. Elle hâta le pas, se faufila entre les différents groupes de passants à la manière d’une anguille, profitant de sa silhouette fine pour y parvenir, et rattrapa peu à peu son retard. Parfois, elle se donnait l’impression d’être un prédateur. Elle attendait patiemment que sa proie sorte de sa tanière, la filait et, le moment venu,  passait à l’attaque. Le coup de grâce ne consistait pas, bien entendu, à occire la cible, mais à récolter des preuves. Pour une femme bafouée, un employeur soupçonneux, un client escroqué… C’était son job, sa vocation. Elle exerçait le métier de détective privé depuis presque cinq ans et à présent, elle commençait à se faire un nom dans le milieu. Les clients se montraient satisfaits, n’hésitant pas à la recommander à leurs proches. Son agenda comprenait déjà trois affaires en ce début de semaine. À ce train-là, elle allait peut-être devoir embaucher…
Sa proie du jour s’arrêta enfin. Le bâtiment devant lequel il se trouvait se détachait de ses voisins par sa devanture colorée. De là où elle se trouvait, Lucrétia devina qu’il s’agissait d’un restaurant. Italien sans doute, si l’on en croyait les dessins carnavalesques qui ornaient les murs extérieurs.
Monsieur Campbell aurait-il décidé de s’octroyer un déjeuner en tête à tête ? Les soupçons de sa femme pourraient être bien vite confirmés si tel était le cas. En quelques pas, elle avait rejoint le restaurant.
Chez Luigi, pizza, antipasti, pasta.
Son intuition ne l’avait pas trompée. Elle poussa la porte avec plus de force que nécessaire et heurta quelqu’un. Tout en se confondant en excuses, elle remarqua que l’homme en question, par chance il ne s’agissait pas de Campbell,  était plutôt séduisant. Il ne semblait pas non plus insensible à son charme, car il lui sourit d’un air aimable.
-    Je vous en prie.
Nouveau sourire. Un peu gêné…À moins que ce ne soit qu’un leurre…

-  Je vous aurais bien invitée à boire un verre mais, malheureusement, je suis attendu.

(...)

Son sourire s’évanouit comme la lumière, puis elle entendit le moteur. Trop proche. Elle tourna aussitôt la tête mais déjà le véhicule était sur elle. L’instant d’après, elle lévitait. Non, en fait elle ne lévitait pas. Elle venait d’être projetée du sol. Son corps se balançait dans les airs, dans une posture tout à fait abracadabrante. 

(...)

Quelqu’un cria. Sans doute un passant catastrophé qui réalisait ce qui était sur le point de se produire. Et de quoi s’agissait-il au juste ? Simplement d’un accident de la route. D’une femme de 36 ans, heurtée par un véhicule sur un passage piéton.
Elle commençait à descendre. Le capot semblait déjà porter les marques du choc qui n’existait pas encore. Soudain le cours normal du temps reprit ses droits. Elle tomba à toute vitesse avant qu’un flash éclatant ne l’aveugle.
Après, le néant.
On était le vendredi 27 septembre 2013, et Lucrétia Bennett venait de mourir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire